La Turquie s’est installée comme une nation de premier ordre à l’échelle régionale. Elle a démontré une certaine ambivalence quant aux conflits politiques impliquant les pays de la région. à la suite de l’escalade du conflit israélo-palestinien dans la bande de Gaza, elle a affiché son soutien à la cause palestinienne et sa désapprobation des agissements israéliens. La prise de position turque peut être considérée comme une alternative mise en avant par le président Erdogan dans le but de consolider une base de soutien populaire au sein de la société turque et comme une façon d’accroître son influence auprès des milieux dirigeants arabes. Cet article vise à expliciter la position de la République de Turquie vis-à-vis du conflit à Gaza, insistant sur la prise de position de son président, ainsi que de la population de cette nation, sur le génocide israélien en cours.

Mots-clés: Turquie, conflit israélo-palestinien, Gaza, ambivalence.

Türkiye has positioned itself as a nation of relevance within its regional environment, in which it has demonstrated a certain ambivalence in relation to conflicts related to the countries in the area. After the escalation of the Israeli-Palestinian conflict in Gaza, it has expressed its support for the Palestinian cause and his repudiation of Israeli policies. The Turkish position is considered an alternative promoted by president Erdogan with the purpose of attracting the popular support of Turkish society, achieving greater influence in the circles of Arab power. This article aims to explain the position of the Republic of Türkiye regarding the conflict in Gaza, focusing on the position assumed by its president and the population of this nation concerning the development of the Israeli genocide.

Keywords: Türkiye, Israeli-Palestinian conflict, Gaza, ambivalence.

Introduction

La République de Turquie est une nation unitaire et constitutionnelle fondée le 29 octobre 1923 par Mustafa Kemal. Depuis lors, elle est passée par tout un ensemble de mutations politiques touchant tant la nature de son État que ses modalités de gouvernement. Á cet égard, bien qu’en 1928 elle ait abandonné la mention de l’Islam comme religion d’État, il faut attendre 1937 pour qu’elle officialise la laïcité de l’État. En 1946, elle a adopté le principe du multipartisme et a organisé en 1950 les premières élections dans ce cadre.

Concernant la politique étrangère, la Turquie a adopté des positions assez diverses. Elle a été qualifiée de «pays périphérique», quoique médiateur, lors de la Seconde Guerre Mondiale et de «pays-pont» entre Occident et Orient au tournant du XXIème siècle (Altunisik, 2011). En fait, au cours de la Guerre Froide, la politique étrangère turque s’est distinguée par des relations étroites avec les États-Unis (USA) et par une intégration précoce à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en 1952. En outre, elle a manifesté son intérêt à obtenir un statut de nation associée à la Communauté des États Européens à partir de 1963, une démarche qui ne fut toutefois pas menée à son terme, et reste marquée par des moments de tension.

Bien que la Turquie remplisse un certain nombre des dits critères de Copenhague1, elle n’a pas reçu à ce jour de réponse favorable quant à son intégration à l’Union Européenne (UE). Ce retard pourrait être mis en rapport, outre toute une série de facteurs socio-culturels, économiques et historiques, avec des dissensions internes à l’OTAN et les évolutions politiques complexes de la Turquie vis-à-vis des conflits qui ont impliqué l’Occident. On peut penser, pour rester dans l’actualité récente, aux conflits russo-ukrainien ou israélo-palestinien. Concernant ce dernier, la Turquie s’est révélée en mesure de renforcer sa capacité de projection politique internationale, parvenant à affermir son rôle central au cœur des relations multilatérales. Elle a fait de sa géographie, de son identité culturelle, même de son histoire, des atouts dans son émergence multidimensionnelle. Dès lors, sa politique étrangère s’est redirigée vers son voisinage le plus immédiat, et on note un rapprochement avec les régions du Caucase, des Balkans et du Moyen-Orient.

Depuis l’accession au pouvoir du parti Adalet ve Kalkinma Partisi2 (AKP) en 2002, on constate une série de mutations significatives dans les relations de la Turquie avec le Moyen-Orient3. Ainsi en est-il de la moindre importance de l’incidence de la laïcisation spécifique de la Turquie sur sa ligne régionale, influant sur le rapprochement bilatéral avec les nations de la région. D’une part, plusieurs accords ont été conclus avec une série de pays, facilitant les régimes d’exemption de visa. D’autre part, les liens économiques se sont resserré, par la signature d’accords de libre-échange. Cela a permis une croissance du volume des échanges entre la Turquie et les pays arabes. Enfin, dans le but de consolider le statu quo turc et ses intérêts politiques, économiques et stratégiques dans la région, un dialogue politique entre la Turquie et ses pays voisins a été amorcé.

Du reste, la détérioration des relations de la Turquie avec l’État d’Israël a été un élément déterminant pour juger du potentiel de la politique étrangère turque. Elle a une certaine incidence sur l’agenda politique de Recep Tayyip Erdogan, qui a adopté une position pragmatique vis-à-vis de l’État hébreu depuis le début de la guerre à Gaza en 2023 et les divers événements qui s’en sont suivis au Moyen-Orient.

Á cet égard, après l’attaque lancée par le Mouvement de Résistance Islamique (Hamas, selon son acronyme arabe) contre l’État d’Israël, le président turc a exprimé son soutien au peuple palestinien et il a manifesté sa réprobation du génocide en train d’être commis à Gaza4. En tout état de cause, on remarque une posture ambivalente quant à certains aspects précis du conflit et des événements qui se sont produits au Moyen-Orient dans l’intervalle.

Compte tenu de ces éléments, cet article vise à expliciter la position de la République de Turquie vis-à-vis du conflit à Gaza, insistant sur les positionnements de son président, ainsi que les positions de sa propre population, sur le génocide israélien en cours.

Développement

L’escalade actuelle du conflit entre la Palestine et l’État d’Israël, à dater de la fin de l’année 2023, se produit au cœur d’un moment de bascule décisif pour le Système International: la transition vers un monde multipolaire, de confrontation entre les principaux pôles de puissance mondiaux, les États-Unis, la Chine et la Russie. Dans ce contexte, les puissances moyennes, tout particulièrement celles régionales, cherchent à tirer profit de ce cadre international marqué par un désordre contingent. En fait, elles cherchent à consolider leur leadership dans leurs sphères d’influence les plus immédiates, même si cela rentre en contradiction avec leurs alignements historiques.

C’est le cas de la Turquie, traditionnel allié de l’Occident qui, comme nous le démontrerons par la suite, a fait preuve d’un soutien inattendu pour la cause palestinienne et une réprobation marquée du génocide mis en œuvre par Israël. De sorte que, lorsqu’il s’agit d’analyser la prise de position turque face à l’escalade du conflit israélo-palestinien dans la Bande de Gaza, on ne doit pas perdre de vue les facteurs suivants:

Dans le cas spécifique des liens qui unissent la Turquie aux pays du Moyen-Orient, le fait d’avoir dominé bon nombre de ses territoires pendant des siècles comme d’être un allié historique des États-Unis et de l’OTAN, peuvent susciter des inquiétudes de la part des nations arabes. Il en est de même pour la reconnaissance temporairement de l’État d’Israël par la Turquie, ou leur rapprochement stratégique. Quoi qu’il en soit, l’Islam est un point commun, ainsi que l’appartenance commune à l’Organisation de la Conférence Islamique, tout comme la dépendance envers le pétrole. Ce sont des variables dont la partie turque a pu tirer avantage pour renforcer l’intégration avec ses voisins et favoriser le dialogue politique dans la perspective de faire avancer ses intérêts stratégiques.

En ce qui concerne le rapprochement entre la Turquie et l’Israël, en 2022, les deux pays ont restauré leurs relations diplomatiques par le biais de la réouverture de leurs ambassades respectives. Il s’agissait alors de faire avancer un dialogue bilatéral de manière officielle, après quatre années de tensions, et de renforcer les échanges sur le plan économique, commercial, énergétique et même culturel5. Les États-Unis et l’Union Européenne ont accueilli positivement le renforcement de ces liens.

Du côté d’Ankara, le rapprochement avec l’État hébreu prétendait nouer un accord avec une «puissance» régionale, selon une démarche analogue à celle poursuivie avec les Emirats Arabes Unis (EAU) et l’Arabie Saoudite. En parallèle, l’Israël cherchait à redéfinir ses relations avec ses voisins régionaux; deux années auparavant, il avait normalisé le dialogue avec Bahreïn, les EAU et le Maroc dans ce qu’on appelle les Accords d’Abraham. En général, la politique de rapprochement bilatéral a eu un caractère pragmatique pour les deux parties, en vertu de sa double dimension, économique et stratégique.

De façon plus spécifique, les relations économiques turco-israéliennes ont progressé significativement depuis 2002, avec une insistance particulière sur le commerce, le tourisme, la gestion des ressources énergétiques et la coopération en termes de défense et sécurité. En dépit des moments de tensions entre les deux parties, comme lors de la crise du Mavi Marmara en 2010 ou après la reconnaissance par l’administration Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël en 2017, les liens économiques n’ont pas été interrompus, en tout cas pas de façon drastique ou décisive. Même après l’escalade du conflit israélo-palestinien en octobre 2023, les transactions financières n’ont pas connu de baisse significative de leur volume6.

Esquisse d’analyse de la position turque face à l’escalade du conflit israélo-palestinien dans la Bande de Gaza

Le 7 octobre 2023, à l’aube, le Hamas lance une attaque contre l’État d’Israël et parvient à percer sur plusieurs portions de la barrière de sécurité frontalière. Dès lors, le conflit israélo-palestinien a de nouveau retenu l’attention de l’opinion publique internationale, portant son regard sur ce massacre historique, caractérisé par la résistance du peuple palestinien face à l’armée israélienne.

Confronté à la situation complexe du conflit armé à Gaza, toujours en cours, le président turc a manifesté son soutien au peuple palestinien, face aux offensives constantes de l’armée israélienne. Dans cette perspective, le président turc a affirmé:

Les bombardements israéliens à Gaza, qui s’intensifient, visent à nouveau les femmes, les enfants et les civils, et la crise humanitaire s’aggrave. L’Israël doit arrêter immédiatement cette folie, et ne plus recourir à la violence. (Erdogan, 2023)

A la lumière de ces considérations, le président turc a convoqué une marche de solidarité avec la Palestine et de protestation contre la politique répressive israélienne. Par ailleurs, soulignant l’importance de l’événement, il a convié les dirigeants égyptiens, saoudiens, jordaniens, libanais, libyens et palestiniens. Cela a donné une connotation internationale à la lutte pour mettre fin au conflit et pour un rapprochement ultérieur entre les gouvernements de ces pays et la Turquie (TeleSur, 2023).

Dans le même temps, le président turc a condamné la position des nations occidentales, qui ne cherchent pas sincèrement à plaider pour un cessez-le-feu, un élément qui ne peut qu’aggraver la situation actuelle. Sur cette question, le ministre des Affaires Etrangères, Hakan Fiden, défend l’idée que la fin du conflit ne sera possible que lorsque l’on prendra en compte les intérêts palestiniens et des pays voisins à la terre de Palestine (France 24, 2023).

Á strictement parler, les représentants politiques turcs ont affirmé que les bombardements à Gaza étaient inacceptables et ont qualifié les agissements du gouvernement israélien, visant la masse des réfugiés à Gaza, d’inhumains, en violation du Droit International. De même, ils considèrent nécessaire la mise en place d’un boycott de l’État israélien pour que cessent les attaques contre le peuple palestinien.

Toutefois, au vu de la grande campagne de désinformation internationale, le déploiement supposé de deux chasseurs britanniques Typhoon depuis la base turque d’Incirlik7, près d’Adana, a affecté la crédibilité du gouvernement turc. Cela a conduit la population turque à adopter une position plus radicale de soutien à la Palestine, tranchant dans une certaine mesure, avec celle défendue par le gouvernement.

Dans cette optique, le Centre Turc de Lutte contre la Désinformation, qui dépend du gouvernement, a présenté quelques images publiées par certains médias et a démontré qu’elles n’ont pas été prises dans la base militaire située sur la côte sud du territoire turc. De même, il a prouvé que les avions de combat anglais n’avaient pas comme destination Tel-Aviv.

Á la suite de ces événements, le président Erdogan a maintenu sa ligne propalestinienne et a rencontré, de nouveau, un écho populaire lorsqu’il en a appelé à «sauver les palestiniens de l’oppression» (TRT, 2023). Cette déclaration a encore renforcé la légitimité du président turc dans sa societé, sur ce sujet du conflit israélo-palestinien, ce dès le début de l’escalade, après le 7 octobre 2023. Elle rejoint sa perspective consistant à attester de tous les crimes et massacres perpétrés par les Israéliens ces dernières années.

Dans ce scénario complexe, en pleine mutation, Tayyip Erdogan a rencontré le Secrétaire d’État des États-Unis, Antony Blinken, afin de faire le point sur le conflit entre l’Israël et le Hamas. Lors de cette rencontre, Blinken avait fixé comme objectif de définir des «pauses humanitaires» afin de «contribuer à la résolution du conflit» (Russia Today, 2023). Néanmoins, il s’est révélé difficile de fixer des objectifs communs avec la Turquie, en raison de la situation tendue entre Tel Aviv et Ankara, aggravée par la reconnaissance apportée par Erdogan au Hamas.

Á son tour, afin de donner une suite à cette démarche conciliatrice, Hakan Fiden, le ministre turc des Affaires Etrangères, a tenu à consulter son ambassadeur en Israël sur les diverses procédures en cours, en plein cœur du conflit, pour mieux connaître la réalité et l’ampleur des actions armées. Dans ce contexte de recherche de l’information la plus véridique, le président Tayyip a expliqué que Netanyahu n’était plus un interlocuteur dont il fallait tenir compte (EFE, 2023).

Dès lors, le discours turc est monté en puissance, dans une prise de position propalestinienne conforme à celle de sa population, ce qui a suscité des craintes de la part de Washington. Ce sont précisément ces faits qui ont conditionné la première rencontre pour «apaiser Erdogan» (Blinken, 2023). Toutefois, les États-Unis n’ont pas atteint leurs objectifs. De son côté, la Turquie, à la suite de l’échange avec le secrétaire d’État nord-américain, a proposé de poursuivre Netanyahu devant la Cour Pénale Internationale. Le Premier Ministre israélien a été qualifié d’Hitler du XXIème siècle, devant être jugé pour «tous les crimes commis contre l’humanité» (Kulunk, 2023).

Début décembre 2023, le Conseil de Sécurité de l’ONU s’est saisi de la nécessité d’agir en faveur d’un cessez-le-feu humanitaire immédiat (UN News, 2023). Cette proposition a rencontré le veto des États-Unis, qui a réaffirmé son soutien inébranlable à l’État israélien. Par conséquent, la possibilité de mettre un terme au conflit par une action diplomatique multilatérale s’est amoindrie et le génocide à Gaza continue.

Dans ce contexte difficile, la Turquie maintient sa position dans le conflit et accuse Israël, tout particulièrement le Premier Ministre Netanyahu, de génocide et crimes contre l’humanité. Dans cette perspective, le président turc a exigé une réforme du Conseil de Sécurité, au vu de son impuissance et du veto constant des États-Unis quant à la possibilité d’un cessez-le-feu à Gaza. Erdogan est allé même jusqu’à dire qu’un monde juste est possible mais pas avec les États-Unis (Russia Today, 2023). Il a réaffirmé la lourde responsabilité que porte le gouvernement nord-américain sur ce qui a cours en Palestine et a condamné plusieurs fois le soutien apporté par Joe Biden à Israël8.

Toutefois, en dépit de la ferme condamnation turque visant les agissements israéliens sur les territoires occupés de Gaza depuis octobre 2023, Ankara maintient de fortes relations économiques avec l’État hébreu, même au cœur de la crise. S’agit-il d’un double jeu? Il existe parmi les entrepreneurs des deux pays une confiance mutuelle ou ce qu’on pourrait appeler un «mariage d’intérêt».

En guise de conclusion partielle, on peut considérer que, dans ce moment de transition inter-systémique vers un monde multipolaire, les puissances régionales cherchent à consolider leurs positions, pour accroître leur influence et leur capacité de leadership. Il est certain que dans un contexte de conflits géopolitiques résurgents, mettant d’abord aux prises les États-Unis, la Russie et la Chine, les alliances historiques s’assouplissent. Par conséquent, des États comme la Turquie, alliés historiques de l’OTAN et de l’Occident, nouent des relations moins conflictuelles avec les pays traditionellement vus comme «ennemis» en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient. Il s’agit de tirer avantage des opportunités offertes par «l’ordre», ou plutôt le désordre, international afin de s’assurer une future position de médiateur dans la restructuration de la région après le conflit. Cela va bien au-delà des préoccupations humanitaires légitimes concernant les violations historiques des droits des palestiniens et palestiniennes commises par l’État d’Israël.

Sur la position d’Erdogan vis-à-vis du conflit israélo-palestinien: une complaisance politique?

La position adoptée par le gouvernement d’Erdogan, soutenue par la population turque, a comme objectif immédiat, outre la consolidation de la Turquie comme leader régional, de s’attirer la sympathie du vote musulman et de se doter d’un axe fort structurant son discours politique ultra-nationaliste et islamiste. En effet, son parti est islamiste et ne cesse de restreindre la nature laïque de son État alors que le vote musulman a pesé lourdement dans sa réélection et son maintien au pouvoir depuis tant d’années9.

Á ce propos, la position de Recep Tayyip vis-à-vis du conflit s’est renforcée, avec sa prise de distance par rapport à l’État juif et ses accusations verbales frontales envers les États-Unis. Sans l’ombre d’un doute, il ne s’agit ici que d’une variation dans la conception et l’action politiques d’Erdogan. En effet, des rencontres avaient bien été organisées en amont avec des fonctionnaires américains pour trouver des terrains d’entente sur la question. Toutefois, ces échanges sont restés sans suite pour Washington et la position de Tayyip s’est radicalisée au fur et à mesure de l’escalade du conflit.

En dépit des conceptions professées par le président turc sur la scène publique, soutenant la cause palestinienne, d’autres considérations entrent en jeu dans la vie publique nationale, et ouvrent la voie à une possible collaboration de la Turquie avec l’Israël, sur la bande de Gaza. C’est ainsi que le député Hasan Bitmez10 a dénoncé, au sein de l’hémicycle de la Grande Assemblée nationale de la Turquie, le fait que le gouvernement turc était étroitement lié à l’Israël et participait à diverses offensives sur Gaza. Cela n’a fait qu’accroître les incertitudes sur le tournant inattendu de la Turquie face à l’escalade du conflit entre Israël et Palestine et l’annonce d’une «prise de distance vis-à-vis de l’État hébreu».

Au vu de cette situation complexe, de nombreuses questions restent sans réponse. Premièrement, on a supposé que ce tournant officiel turc était un effet du soutien massif apporté par sa population à la Palestine. Les véritables motifs derrière les postures d’Erdogan semblent se situer ailleurs: la crainte d’un discrédit auprès de la population musulmane et d’un affaiblissement de son socle électoral dans la perspective de sa candidature aux élections présidentielles. De ce fait, la posture de la Turquie sur la scène internationale peut varier, comme effet des tournants officiels et actions secrètes d’Erdogan pour tenir le choc. La Turquie navigue entre deux eaux, manœuvre entre deux rives: l’engagement auprès de la communauté palestinienne et le soutien apporté aux liens, avant tout économiques, avec Israël.

La position de la population turque

Des centaines de personnes ont protesté contre les bombardements de l’armée israélienne à Gaza. Par ailleurs, des manifestations ont été organisées devant la base militaire des États-Unis en Turquie, où le mot d’ordre était la fin de la collaboration de la Maison Blanche avec Israël. Les Stambouliotes ont également organisé des défilés critiquant la visite d’Antony Blinken en Turquie, considérant que la position adoptée par le gouvernement des États-Unis ne fait que perdurer le conflit et a des effets néfastes sur la région.

Conclusions

La Turquie s’est installée comme une nation de premier ordre à l’échelle régionale. Elle a démontré une certaine ambivalence quant aux conflits politiques impliquant les pays de la région. Ainsi, à la suite de l’escalade du conflit israélo-palestinien dans la bande de Gaza, elle a affiché son soutien à la cause palestinienne et sa désapprobation des actions israéliennes, remettant en cause la politique de Netanyahu. Elle n’a toutefois pas rompu définitivement les relations avec l’État hébreu.

Par conséquent, il est difficile d’imaginer une aide turque supplémentaire aux palestiniens, tout comme une rupture des relations économiques avec l’État d’Israël. On peut donc considérer que la Turquie, avec Erdogan à sa tête, persistera dans sa ligne critique vis-à-vis du génocide à Gaza. Il s’agit d’une façon de se présenter comme une puissance médiatrice dans une région en pleine recomposition, tout en renforçant son influence auprès des milieux dirigeants arabes.

La population turque a manifesté son soutien au peuple palestinien, elle a répondu présente lors de manifestations sur l’ensemble du territoire pour dénoncer le génocide et l’inefficacité des Nations Unies face à cette situation alarmante. Toutefois, sa position ne détermine pas du tout les positionnements futurs du gouvernement turc, quant à l’obtention d’un cessez-le-feu.

Bibliographie

Notes

  1. Les critères de Copenhague (article 49 du Traité sur l’Union Européenne) ont été fixés par le Conseil Européen en 1995. Ils prévoient que chaque État membre doit avoir des institutions stables et démocratiques respectant l’État de droit, les droits de l’homme et ceux des minorités.
  2. L’AKP est l’acronyme du Parti de la Justice et du Développement en français.
  3. Il convient de noter qu’entre la Turquie et le Moyen-Orient il y avait déjà eu un rapprochement et des liens politiques plus étroits, depuis le temps de la Guerre du Golfe (1990-1991).
  4. Les rapports entretenus par le gouvernement turc avec le Hamas ont constitué un des principaux points de désaccord dans le cadre du processus de rapprochement entre la Turquie et l’Israël.
  5. En 2018, la Turquie a rompu ses relations avec Israël en raison de l’assassinat de 60 palestiniens lors de manifestations à Gaza contre l’ouverture d’agences américaines à Jérusalem. Cependant, dès 2010, une rupture s’était déjà produite entre les deux pays, du fait de la crise du Mavi Marmara, causant la mort de plusieurs personnes, imputable aux forces israéliennes, lorsqu’une délégation humanitaire a tenté de briser le blocus à Gaza. La Turquie a porté, au sein de la communauté internationale, la condamnation la plus vigoureuse des agissements d’Israël. Erdogan, alors premier ministre, les avait même qualifiés de terrorisme d’État.
  6. Les économies turque et israélienne ont été fortement affectées par la crise du Covid-19. Fortement dépendante du commerce extérieur, la Turquie a opté pour la recherche de nouveaux marchés. De son côté, l’Israël a choisi de concentrer ses efforts vers le renforcement de ses liens économiques avec les pays de la région. En conséquence, les deux États ont consolidé leur rapprochement dans des domaines d’intérêt commun, pour dynamiser leur économie et booster leur commerce.
  7. La base aérienne turque d’Incirlik, au sud du pays (à la frontière avec le Liban et la Syrie), a été utilisée depuis les années 1950 par l’USA Air Force dans le cadre de l’OTAN.
  8. Le 20 février 2024, les États-Unis ont de nouveau opposé leur veto à l’adoption d’une résolution (présentée par l’Algérie) au Conseil de Sécurité relative à la nécessité d’un cessez-le-feu humanitaire et immédiat à Gaza. Ils avaient fait de même auparavant avec les propositions du Brésil (18 octobre 2023) et des Emirats Arabes Unis (8 décembre 2023).
  9. La nature islamiste du parti d’Erdogan a conditionné cet engagement conséquent envers la communauté palestinienne.
  10. Hasan Bitmez était membre de la Grande Assemblée Nationale de la Turquie, critique virulent de l’AKP et de l’État d’Israël. En fait, Bitmez était issu du parti Saadet, qui est une scission radicale de l’AKP, à la fois islamiste, ultranationaliste, très anti-occidental et conservateur à l’intérieur. Bitmez est victime d’un arrêt cardiaque lors de son allocution en direct, au Parlement turc, le 12 décembre 2023. Deux jours plus tard, il succombe à la dégradation de son état de santé.